mercredi 9 décembre 2015

Pourquoi la permaculture ?


Certains mots comptent moins qu'ils n'y paraissent. Le mot permaculture est de ceux-là. En revanche, il fait partie des mots qui méritent éminemment que l'on cherche ce qui se cache derrière.

Le problème avec le mot permaculture c'est qu'on croit avoir affaire à une nouvelle technique d'agriculture ou de jardinage. Ce n'est pas ça.



Le problème avec le mot permaculture c'est l'effet de mode qui accompagne toute pratique intéressante et nouvelle chez nous. On est nombreux à s'emparer de ce mot et à l'emmener dans beaucoup de directions, comme tout mot ambitieux qui cherche à englober une vaste réalité. Cela contribue à brouiller son sens.


Alors disons que ce n'est pas le mot qui compte. Mais venez avec moi, je vais vous raconter. Pourquoi la permaculture est devenue si importante.


Aujourd'hui le malaise que l'on rencontre largement en France, et peut-être dans une moindre mesure dans les autres sociétés occidentales, c'est le sentiment partagé d'impuissance. Ca ne va pas. On sent bien que les choses ne vont pas (et en ce 9 décembre 2015 comment pourrait-on ne pas le sentir ?). Mais que peut-on faire ? On n'a aucun pouvoir.


Toute notre énergie de vie est focalisée sur un but : avoir de l'argent. Il nous donne l'illusion du pouvoir sur notre vie. Le pouvoir d'acheter des choses. Acheter des choses pour faire vivre sa famille, pour se procurer un toit, de l'eau et de quoi se chauffer, de quoi se déplacer, etc., et enfin de quoi se faire plaisir parce qu'il faut quand-même être heureux.



Mais ce qui semble être un grand pouvoir est seulement un pouvoir d'achat. Un bien mince pouvoir en fait. Et qui a en plus l'effet pervers de nous déconnecter de la réalité naturelle du monde. Car j'achète quelque chose donc je ne sais plus comment on fait pour le faire, ni ne me rends véritablement compte de ce qu'il a fallu concrètement pour le faire : en matière, en énergie, en "personnel". J'ai parfois un petit malaise quand j'y réfléchis, mais bon il faut bien considérer que j'ai quand-même travaillé pour gagner de l'argent et que cette chose achetée est en quelque sorte le fruit de mon travail. Et puis, je n'ai pas le choix, j'ai besoin de ça pour m'en sortir.


C'est un système totalement aliénant. On se déconnecte de notre propre condition naturelle et on devient inhumain malgré nous.

Parce que ce qui fait tourner l'économie est en réalité dévoreur d'énergie et des ressources de la Terre (vous savez, cette planète qui nous porte, sans laquelle nous ne sommes rien). Et d'autre part, ça coûterait tellement cher à produire au vu de ce gaspillage d'énergie que le système ne tient que parce que ces biens de masse sont réalisés, au moins à un maillon de la chaîne, par des gens qui travaillent pour rien, autrement dit des esclaves.


Ce projet de vie autour de l'argent nous a donc déconnecté de la nature et nous a fait perdre notre pouvoir d'humain que nous avons tous à la base : savoir subvenir à nos besoins vitaux en toute autonomie.


Sauf que ce système, même s'il peut à peine encore apparaître comme un modèle pour les pays dits "émergents", est en perte de vitesse pour de multiples raisons :



.Diminution de l'élément travail (accroissement du chômage). Or comment créer de la "richesse" dans un tel système sans cet élément ? Ce système ne fonctionne que s'il y a des hommes assujettis à travailler pour d'autres hommes.



.Accroissement de la population mondiale qu'il va bien falloir loger et nourrir (la plupart des hommes ayant perdu cette faculté de se loger et de se nourrir seuls).



.Épuisement de la planète à tous les niveaux (disparition des terres arables, pollution et pillage des océans, bref, je ne poursuis pas la liste, ça commence à sentir le réchauffé bien roussi).



(...)


On se rend compte que le système sur lequel on s'est reposé parce qu'on ne connaît plus que ça, parce que ça semblait à peu près marcher et assurer notre  pérennité est en fait en train d'exhiber au grand jour ses limites criantes (ou criardes pour rester dans l'effeuillage). Nous sommes portés par une illusion qui arrive à son terme et cela fait très peur puisqu'on a justement perdu notre autonomie.



Parce que un système mondial où il n'y a qu'une poignée de personnes qui s'en sortent, et tout le reste qui coule 


c'est un système qui échoue et se noie.


Parce que un système qui puise sans fin dans un système fini (notre planète) 


c'est un système suicidaire.


Parce que un système qui dépense plus qu'il ne produit 


c'est un système qui se ruine, ou alors esclavagiste, donc inhumain, donc qui ruine les êtres sur lesquels il se repose.



La permaculture, elle nous donne des outils pour aménager et concevoir des systèmes inspirés des systèmes naturels qui s'auto-régénèrent et créent de l'abondance, et qui sont efficaces et éthiques pour cette raison.



Or sur quoi repose la résilience intrinsèque d'un système naturel ? Sur sa complexité, son fonctionnement en réseaux multiples, le fait que tous les éléments à l'intérieur ont chacun encore de multiples fonctions et des relations symbiotiques et synergiques entre eux.



Cela le rend beaucoup plus efficace, car il ne pourrait pas y avoir de système naturel et donc de vie sur terre, si l'énergie dépensée par ses éléments était supérieure à la production, et à l'apport, tirés de cette énergie.



Mais surtout cela le rend beaucoup plus solide et résilient. Car même lorsqu'une partie importante des éléments du système se trouve prise dans une bourrasque dévastatrice, le façonnement même du système, complexe, fait qu'il n'en vient pas à s'effondrer totalement et qu'il est capable tout seul de revenir à l'équilibre.



En gros, tous les œufs ne sont pas mis dans le même panier. Au contraire du système des hommes qui domine aujourd'hui le monde et qui repose uniquement sur les énergies fossiles. Aucune civilisation n'a jamais rien réalisé de plus fragile.



Sauf qu'aujourd'hui les hommes ont en plus enfreint tellement de lois fondamentales de la nature, que de tels systèmes naturels en viennent à s'effondrer (et le réchauffement climatique dont nous sommes l'auteur est une cause majeure).


Dans la réalité naturelle de ce monde, on est donc loin d'un fonctionnement simple, linéaire ou simplement circulaire. Et la permaculture propose de fonctionner exactement sur le modèle précédemment décrit pour imaginer un système.


La permaculture, conceptualisée au départ dans les années 70 par les australiens Bill Mollison et David Holmgren, est une méthode de "design" des systèmes humains (pour reprendre le terme anglais signifiant conception, aménagement, planification...).

Étant donné que l'humain n'est autre que la nature elle-même, ce que nous avons largement oublié, la permaculture peut être utilisée pour concevoir tout type de système qui répond à nos besoins essentiels d'humains : se nourrir, boire, se soigner, s'abriter, se reposer, se chauffer, se vêtir quand il fait froid, établir des relations, élever ses enfants...


Cela passe donc par la compréhension profonde des systèmes naturels. Ceux-ci sont nécessairement complexes, les éléments y ont des relations symbiotiques entre eux qu'il faut s'efforcer de déchiffrer pour ne pas briser des interconnexions complexes et risquer de mettre à mal ces systèmes naturels. En outre, "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme" pour reprendre la célèbre formule de Lavoisier. Les déchets des uns sont les ressources des autres et tout doit pouvoir fonctionner en boucles multiples dans la meilleure synergie possible.



L'homme doit pouvoir s'intégrer dans cette nature dont il fait partie en toute harmonie et en toute intelligence. Cela devient complètement possible dès lors qu'il fait la démarche de comprendre qu'il n'est pas au-dessus de tout le reste et qu'il accepte de comprendre le langage de la nature, pour paraphraser Paul Stamets, et de communiquer avec elle.


Sans rentrer dans les détails de la méthode permaculturelle qui est en gros gouvernée par le bon sens pour qu'un système fonctionne de la façon la plus efficace (on trouve énormément à ce sujet sur Internet et dans les ressources que je rassemble sur la page dédiée), la permaculture est sans arrêt guidée par cet objectif de soutenabilité des systèmes humains (comme l'est tout système naturel). Pour que de tels systèmes fonctionnent durablement, ils sont nécessairement gouvernés par ces principes éthiques :


.prendre soin de la Terre ;
.prendre soin des Hommes ;
.partager les surplus.


Le but est que pour une calorie investie dans le système, on doit pouvoir en sortir beaucoup plus. L'inverse totale de l'agro-industrie aujourd'hui qui consomme plus que ce qu'elle produit, c'est catastrophique.



C'est donc à la fois la sobriété, car on dépense le moins d'énergie possible (et on va beaucoup réfléchir pour ça, travailler plutôt du chapeau en somme). Et l'abondance, car ce que l'on retire de ce minimum d'énergie investie est bien plus conséquent et va permettre de redistribuer à tout le monde : Terre, donc tout ce qui la compose, et humains. Ainsi on fait en sorte de maintenir le système en perpétuelle régénération.


Plus que jamais nous éprouvons le besoin de libérer notre énergie créatrice, d'invention et de la mettre au service non pas de la destruction mais de la construction, non pas de la mort mais de la vie.



Connectons-nous, appuyons-nous sur les gens qui débordent de cette énergie créatrice (et qui partagent leurs surplus !). Il y en a plein, il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil .



Il ne s'agit pas de dire amen à la permaculture, ni d'en faire une nouvelle recette ou un nouveau dogme auquel il conviendrait encore de se soumettre. C'est une approche qui mérite tout simplement de mobiliser l'intérêt et l'intellect car nous avons un besoin crucial de repenser les systèmes. 

Bienvenue à cette approche systémique, holistique, éthique (et je pourrais ajouter pragmatique) qui nous amène à redéfinir nos besoins par ordre de priorité et à penser l'ensemble autonome dans lequel ils pourront être remplis. Il est temps car elle a jusqu'à 40 années de pratique ailleurs ! 

C'est redynamiser ses propres mécanismes de pensée. C'est élaborer des solutions aux problèmes rencontrés en prenant en compte l'intégralité des données, sans isoler les éléments de l'ensemble. C'est une ingénierie au service de l'humain et de la nature. 


Aussi, lorsqu'on me demandera la prochaine fois ce que je fais dans la vie, au lieu de marmonner un timide "j'ai des projets...", j'aurai l'outrecuidance de me présenter, en rougissant un peu quand-même, comme ex-juriste, apprentie permacultrice.

Après la théorie, la pratique.