mercredi 4 février 2015

RESISTER

Les moissons continuent, dans le silence, et parfois pas :

Emission Hors-champs du 29 janvier 2015 (France culture). Laure Adler s'entretient avec Kamel Daoud, écrivain et chroniqueur à Oran (ouvrages publiés en France : Minotaure 504, 2011 ; Meursault, contre-enquête, 2014), qui éprouve au quotidien le prix de ne pas taire sa pensée dans son pays.
L'entretien se termine au téléphone : Kamel Daoud est reclus. Un imam algérien a prononcé en décembre une fatwa à son encontre, et depuis lors renouvelé ses menaces de mort, en toute impunité.

Voici comment cet échange se termine :

Laure Adler :

"Où réside l'espoir selon vous ?"

Kamel Daoud : 

"Dans la dignité.

Je crois... De plus en plus, je crois qu'on est en train de perdre.

Mais je crois que la dignité de l'homme est de continuer son combat. 
Et de pouvoir s'acquitter d'une dette. Je dois défendre le monde que je vais transmettre à mes enfants, mètre par mètre.
Si je perds, je l'aurais défendu, mais si je gagne, j'aurais transmis quelque chose de beau et de très libre à mes enfants.
Je ne dois pas baisser les bras parce que je ne veux pas que ma défaite soit double. Je ne veux pas que ce soit la défaite d'une histoire et en même temps la défaite d'un individu.
Ma conviction, ma dignité, est de continuer à écrire, à proposer autre chose, à défendre ce en quoi je crois.
C'est mon rôle, c'est ma conscience qui me le dicte, c'est mon éducation, c'est mon héritage, et c'est ma vie qui me l'impose. Je pense que la vie c'est un don, mais qu'on doit aussi défendre. Et le souci de la dignité pour moi est sacré."

Ecouter l'entretien, les paroles de Kamel Daoud sont puissantes.


*

J'étais en train de lire Le chercheur d'absolu de Théodore Monod (1997, Le cherche midi) et les mots que je venais de lire n'en finissaient plus de résonner de vérité :

"L'essentiel est de montrer que tous les hommes n'étaient pas d'accord. C'est indispensable pour l'honneur de l'être humain.

La civilisation "n'est en effet ni la richesse, ni la puissance, ni la vitesse, ce dieu moderne. Ce ne sont là que des moyens. Jamais l'homme n'a eu tant de moyens à sa disposition, jamais il n'a été dans une aussi parfaite ignorance des fins auxquelles il les devait appliquer. La civilisation vraie se définira par ses fins, qui seront nécessairement la culture des attributs distinctifs de l'humanité, ceux que l'homme est seul à posséder. En vitesse il sera battu par la gazelle, en diligence par la mouche maçonne, en force par l'éléphant, en férocité par la panthère, et les fourmis réaliseront mieux encore que lui l'idéal de l'Etat totalitaire. Ce qui lui appartient en propre c'est la raison qui poursuit la vérité, le sens du juste et de l'injuste qui conditionne la vie morale, l'émotion esthétique, à la recherche de la beauté. Pas de civilisation véritable dans une société qui ne fera pas leur place à ces trois éléments. Donc pas de civilisation possible dans une société où l'homme n'est plus libre de penser, d'agir, de créer, sous un régime totalitaire par exemple." Théodore Monod, Réflexions sur le sens du conflit, Dakar, conférence, 4 avril 1943.

Et aussi, bien des réflexions nées d'une longue vie à l'"école du désert". Cette mise à distance que permet la plongée dans le désert, la vie nomade, la recherche scientifique, la spiritualité, qui fait voir notre société pétrie de violence, de bavardages et de possessions inutiles - dépourvue de consistance.


*

Comme Kamel Daoud je pense qu'on est en train de perdre. L'argent, l'attrait pour la possession, la puissance, la violence, les "fascismes" sous toutes leurs formes sont en train de gagner et de finir de ronger l'homme et le monde. Alors s'il reste un espoir et un sens dans tout ça, c'est bien dans cette dernière chose qui est exprimée. Cela fait peut-être déjà longtemps mais je crois que l'on est définitivement dans cette phase de l'humanité : celle où il ne lui reste que cette chose : résister.

7 commentaires:

  1. Résister oui, et aussi à ses propres démons : car il ne faut pas se laisser envahir par la peur. La peur est un virus qui, une fois installé, est très dur à faire partir. N'oublions pas que malgré ses nombreux travers, l'humanité s'est quand même beaucoup "bonnifiée" avec le temps... la barbarie était bien plus banale dans un passé il n'y a pas si lointain...

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    1. Je sais que ma vision est pessimiste. Il y a la peur mais il y a aussi la lucidité. C'est plutôt avec celle-ci que je me coltine. Je ne crois pas que l'humanité se soit bonifiée. Je crois même que c'est un mythe. Elle est devenue plus politiquement correcte, on voit moins de sang à nos portes (d'occidentaux). Mais la "barbarie" fait toujours bien partie de notre monde et il pourrait suffire de ne pas grand chose pour qu'elle redevienne banale. Cf. ce qui s'est passé en Europe il y a moins d'une vie d'homme et ce qui se passe ailleurs dans le monde maintenant. L'Europe n'est pas une forteresse. La barbarie banale fait même partie de notre vie quand on sait comment sont élevés et abattus les animaux que l'on consomme (je dis ça alors que je ne suis même pas végétarienne). Je vis aux portes de plusieurs centrales nucléaires qui me permettent d'écrire actuellement ces quelques lignes devant mon ordinateur. Le nucléaire civil n'est pas barbare ? N'empêche c'est la survie de l'humanité qu'il met en cause, et même pire : la survie du reste du monde que l'homme pourrait entraîner dans sa destruction, alors même que le reste du monde pourrait continuer à vivre sans l'homme si celui-ci s'éteint.
      L'espoir réside dans la conscience que l'homme n'est pas tout puissant dans ce monde et dans le fait, individuellement, de s'opposer comme on peut à tout ce qui l'entraîne dans ce néant.

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    2. Et aussi la conscience que l'humanité est une. C'est encore plus vrai dans un système mondialisé. Si en Inde les gens crèvent de faim, ce n'est pas que leur problème, c'est celui de tout le monde. Même si on a un sentiment d'impuissance, jusqu'au bout il faut prendre conscience des choses et essayer petit à petit, pierre après pierre ou "mètre par mètre", de construire autre chose. Les mécanismes mis en place par les plus puissants dans notre système mondialisé (par exemple, agriculture de masse - qui ne nourrit pas la masse - au détriment de l'agriculture vivrière, provoquant urbanisation, bidonvilles, malnutrition, chômage, violence, etc.) sont-ils irréversibles ? Le mythe du progrès c'est aussi ça. Ça fait partie des questions que je me pose.

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  2. Résister à la peur et au pessimisme, à l'ignorance et à l'incohérence, à la facilité et à l'égoïsme, à la violence et à l'intolérance, à la résignation, aux dogmes, aux sirènes de la consommation et au Nutella. Résister à tout ce qui n'a pas de sens et à ce qui tourne à l'envers, choisir la liberté et l'amour et y croire toujours. Cultiver la fraternité pour permettre l'égalité et se souvenir qu'avant d'être des droits, certains s'en sont fait un devoir. A nous d'y croire... encore.
    Merci à toi pour ce partage.

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    1. Merci anonyme ami(e)... et aussi cultiver l'émotion esthétique... j'espère revenir bientôt avec ce genre de bagage...

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  3. J'aime bien lorsque les moissons sont riches de ces récoltes là, merci beaucoup Camille....moi, en ce moment j'enfile des mots comme des perles pour m'en faire de jolis colliers,je prends les plus beaux passages des livres lus dernièrement, et je me les dis tout doucement dès le moindre besoin...... je n'avais pas réaliser combien ces colliers me manquaient en mon intérieur.....ouf, j'ai réussi à l'entendre ce souffle fort venant de mon tréfonds....!!!!

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    1. Merci de ces mots Miss Marmotte. Ces colliers de mots sont précieux. Je les cherche plus voracement que d'habitude en ce moment, et c'est tant mieux !

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