vendredi 27 septembre 2019


😎 On est tranquilles, ils se bouffent le chou pour savoir si on doit bien aimer Chirac ou savoir si on doit bien aimer Greta 😎 👇

Interlude


Cette actualité sur l'extraordinaire récente ascension des milliardaires français (voir plus bas) me fournit l'élan de donner ce petit interlude, d'abord sur le mot "démocratie".

Ce mot est tout le temps scandé, et la plupart du temps assimilé au droit de voter (alors que des élections sont régulièrement organisées dans les dictatures, soit dit en passant).

Sur le vote de 2017, me viennent ces mots de Jacques Rancière, en avril 2017 : « Choisir l'escroc pour éviter le facho, c'est mériter l'un et l'autre. Et se préparer à avoir les deux. »
(Et le début de son propos : "La solution est de lutter contre le système qui produit les Marine Le Pen, non de croire qu'on peut sauver la démocratie en votant pour le premier corrompu venu.")

Si Emmanuel Macron ramène en ce moment sur le devant de la scène "la question de l'immigration" (qui est censée torturer le peuple français... pour peu qu'on le pousse un peu dans cette direction...), c'est parce qu'il est en train de désigner son adversaire pour la prochaine présidentielle.
Parce qu'en étant le candidat désigné contre le RN au deuxième tour (ayant éliminé au passage la gauche et la droite "officielles"), il maximise complètement ses chances de remporter cette élection. Et il y a toutes les chances - pour l'instant - que cela se passe ainsi.
D'autant qu'il a la main aujourd'hui sur la police et les médias de masse.
Mais, si par extraordinaire, il ne gagnait pas cette mascarade de second tour, les pouvoirs de l'argent sont tout à fait prêts à travailler de concert avec l'extrême droite officielle, comme c'est le cas dans beaucoup de pays aujourd'hui.

Alors quand les élections sont à ce point pré-organisées, il faut peut-être repréciser que la "démocratie", ce n'est pas seulement le droit pour le peuple de parler, de dire ce qu'il veut du moment qu'on ne l'entende pas trop fort, ni de voter une fois de temps en temps dans des élections jouées d'avance, mais c'est le droit pour le peuple de décider concrètement.
Ce n'est pas le cas aujourd'hui en France.
D'où ce qui a lieu aujourd'hui où une contestation, seul moyen restant de faire valoir sa "voix" dans cette configuration institutionnelle, est écrasée par la répression. Et les gens résistent et inventent des nouvelles formes d'agir politiquement pour avoir le droit de "cité", et retrouver une puissance d'influer sur les choses de ce monde.

Deuxième note de l'interlude : sur le mot "capitalisme".
"Le moins pire des systèmes". Ce n'est plus possible d'entendre cette expression. Ce n'est plus possible d'écouter les émissions d'actualités sur les grandes chaînes de télé et radio, qui relaient sempiternellement ce dogme. 
Demandez aux arbres et aux animaux des forêts qui brûlent si c'est "le moins pire" des systèmes. Demandez-le aux humains qui crèvent à l'extraction de matière. Et à ceux qui se font assassiner ou déporter pour récupérer les terres qu'ils habitent. Terres dont on pourra extraire des dollars.

Alors qu'est-ce qui fait dire aux privilégiés occidentaux que c'est "le moins pire" des systèmes ? Essentiellement la peur justement de perdre leurs privilèges (basés sur la colonisation de ces terres). 
En fait, la peur de perdre un certain confort "acquis" (entre deux burn-out au travail et un cancer à la retraite !).
Mais, même avec tout le déni qu'on peut mobiliser, cette conception du "confort" technologique et de celui des réseaux ne va pas durer.
Faire face à la réalité c'est ce qui attend tout le monde aujourd'hui.

L'envie maintenant de paraphraser Derrick Jensen : on entend souvent les politiques dire qu'on ne peut pas se passer d'électricité, (alors que 2 milliards d'habitants de la planète vivent de cette façon et que les humains se sont débrouillés sans jusque dans les années 20) ; mais on n'entend aucun "responsable" dire : on ne peut pas se passer des baleines, on ne peut imaginer vivre sans ours polaires, sans océans vivants...

Le monde n'est pas un gâteau d'argent à se partager. Le monde est vivant. Et nous aussi. C'est la même chose. Il faut se réveiller.




dimanche 22 septembre 2019

vendredi 20 septembre 2019

Les enfants


"Je peux savoir pourquoi on lui offre les bracelets de la république ?"
"Vu le travail des humains, je préfère être un animal. Ça me fait honte."
"Quand ils auront plus que du béton à bouffer."

Je pleure sur les enfants hérissons qui n'ont plus de mère, et ne trouvent que des mains curieuses, attendries et avides, attentionnées dans leur environnement de cabinet médical et de zoo. Et des mains gauches qui ne savent pas ce que c'est vraiment aimer, entre deux selfies, et deux fourmis écrasées.
Emmenés.

Je pleure sur ces enfants qui dressent des arches désespérées sur des monticules de terre éventrée, et qui hurlent leur beauté, leur attachement à cette vie sauvage aussi, que l'on méconnaît cruellement, et qui ne trouvent que les mains armées de l'Etat au service d'une entité économique qui ne se mangera pas quand tout sera pillé.
Emmenés.

Les enfants, vous êtes beaux, et abîmés, et beaux, continuez. Les mains tremblantes, et prêtes à éprouver ici, je vous offre mon eau💧.

Be water.

(Regardez ce film, il est beau, dans toute cette ruine, il y a des vivants !)
(La splendeur, une fois de plus, n'est pas au Vatican).





mercredi 18 septembre 2019





On en a trouvé 3, seuls dans le jardin, en pleine journée, éparpillés au soleil. On les a mis au chaud et amenés à la clinique vétérinaire, quelqu'un du centre de Buoux va venir les chercher pour s'en occuper.


Au matin






dimanche 8 septembre 2019

vendredi 6 septembre 2019

Ouvrir son jardin


QUELQUES PROPOSITIONS DE LECTURES POUR "OUVRIR SON JARDIN"...


Ce sont des livres de réappropriation... 
de nous-même,
du monde que nous habitons du-dedans, à même la terre que nous foulons,
de la relation,
de notre "pouvoir"...
Il n'y a volontairement pas de livres de jardinage pratique ni d'ouvrages sur l'autonomie ou la permaculture, il y en a tellement de bien, et déjà recensés ailleurs :)
Ce sont des livres à lire et relire et relire, ils accompagnent à chaque fois notre regard renouvelé dans ce monde protéiforme et toujours en mouvement, ils infusent au gré de l'expérience éprouvée.



Photo de groupe !






Abram, David, Comment la terre s'est tuePour une écologie des sens, Les Empêcheurs de Penser en Rond, La Découverte (The spell of the sensuous, paru en 1996) : philosophe - prestidigitateur : comment s'est-on abstrait du monde sensible. Une phrase (en fin d'ouvrage) : "Planter les mots, comme des graines, sous les rochers et les arbres tombés au sol - permettre au langage de prendre racine, à nouveau, dans le silence de la terre, de l'ombre, de l'os et de la feuille."





Clément, Gilles, Où en est l'herbe ?Réflexions sur le Jardin Planétaire, Textes présentés par Louisa Jones, Actes Sud, 2006 : recueil de plusieurs textes de ce jardinier - paysagiste - écrivain - artiste... qui a construit sa maison dans la Creuse. Un court extrait de La friche apprivoisée (1985) : "Ce qui est dit dans la friche résume toute la problématique du jardin ou du paysage : le mouvement. Ignorer ce mouvement, c'est non seulement considérer la plante comme un objet fini mais c'est aussi l'isoler historiquement et biologiquement du contexte qui la fait exister. Cela conduit fatalement à une utilisation plastique de type "alibi". Le temps ronge les alibis : il y a comme ça des pans de murs et des alignements d'arbres accrochés au paysage de manière un peu désespérée, juste pour alerter une mémoire, interroger une émotion, solliciter une nostalgie. J'aime les friches parce qu'elles ne se réfèrent à rien qui périsse. En son lit, les espèces s'adonnent à l'invention. La promenade en friche est une perpétuelle remise en question car tout y est fait pour que soient déjouées les plus aventureuses spéculations."





Deru, Pascal, 64 Jeux d'écoute, de confiance et de coopération, Le Souffle d'Or, 2018 : Cela commence ainsi : "Dans le mot animateur, il y a le mot latin animare : donner de la vie - mais aussi le mot anima : souffle vital, âme. Qui serais-je dans mon métier si l'invitation à jouer ne menait pas les femmes et les hommes dont je suis responsable à grandir en confiance, en écoute mutuelle, en tendresse ? Faire jouer est une mission pleine de sens."





Fukuoka, Masanobu, La révolution d'un seul brin de paille, Une introduction à l'agriculture sauvage, Guy Trédaniel Editeur (The one straw revolution, an introduction to natural farming, paru en 1978) : le témoignage très singulier d'un agriculteur - philosophe japonais qui a beaucoup partagé son expérience, et sa méthode d'agriculture du "non-agir", d'inspiration taoïste. Un paragraphe en fin d'ouvrage : "Les autres animaux combattent mais ne font pas la guerre. Si l'on dit que faire la guerre, qui repose sur les idées de fort et faible, est un "privilège" spécial de l'humanité, la vie est alors une farce. Ne pas savoir que cette farce est une farce - là git la tragédie humaine."





Krishnamurti, Jiddu, Le livre de la méditation et de la vie, recueil avec un texte par jour de l'année sur la plupart des thèmes abordés par Krishnamurti ; Mettre fin au conflit, pour lire une série complète de causeries qui ont eu lieu en 1947. Une phrase : "Essayez-le, faites-en l'expérience et vous verrez combien cela est extraordinaire, combien extraordinaire est la qualité créatrice de la compréhension de ce qui est."





Lenoir, Eric, Petit traité du jardin punkApprendre à désapprendre, Terre vivante, 2018 : paysagiste - pépiniériste qui fait des chouettes photos. C'est réjouissant ce genre de partage de petites idées : "Parfois, la transgression peut aussi prendre la forme de la protection : un magnifique massif de fleurs sauvages pousse dans le fossé devant chez vous et risque de passer sous l'épareuse d'ici peu ? Rendez-le inaccessible en le protégeant par des roches, des piquets ou, plus malicieusement, nettoyez ses alentours pour dissuader l'employé de la voirie d'y voir une nuisance."





Macé, Marielle, Nos cabanes, Verdier, 2019 : "La terre se fait entendre, le parlement des vivants demande aujourd'hui à être élargi. Elargi à d'autres voix, d'autres intelligences, d'autres façons de s'y prendre pour vivre ; élargi bien sûr à des modernités non occidentales ou à d'autres résistances à la modernité (...) ; mais élargi aussi aux bêtes, aux océans, aux pierres, qui ne parlent pas mais qui n'en pensent pas moins." (et contient plein de références bibliographiques pour continuer à lire...)





Macy, Joanna ; Brown, Molly Young, Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, Le Souffle d'Or (Coming back to life, Practices to reconnect our lives, our world, paru en 1998) : exercices pratiques qui favorisent l'émergence, pour travailler en groupe sur le désespoir et la réappropriation de son pouvoir (Despair and Empowerment), devenu "le travail qui relie" (the work that reconnects) : "Nous n'avons pas besoin de réprimander les gens, ni de les manipuler pour qu'ils ressentent ce que nous pensons qu'ils "devraient" ressentir, s'ils avaient plus de moralité ou de grandeur d'âme. Simplement, nous nous aidons mutuellement à découvrir ce qui est déjà là. Seule l'honnêteté est nécessaire."






McCurdy, Robina, Faire ensemble, Outils Participatifs pour le Collectif, Passerelle Eco, 2013 : "Faciliter", "Mandala holistique", "Biorégion"... Des concepts qui ne sont que des outils pour nous aider à faire ensemble - cette condition incontournable -, de façon très pratique. Extrait choisi : "C'est cet apprentissage intime qui rend le lieu perceptible dans la culture, la culture anthropologique cédant ainsi la place à une culture synesthésique. S'approprier une biorégion implique d'être sur place pour apprendre du territoire, y être chez soi, en assumer la responsabilité et bien le traiter. C'est un facteur essentiel d'une société soutenable."





Rosenberg, Marshall B., Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Initiation à la Communication NonViolente, La Découverte, paru initialement en 1999 (NonViolent Communication : A language of Life) : "Je me contentais de recevoir ses paroles, non comme des attaques, mais comme un don de l'un de mes semblables qui cherchait à me faire partager ses rancoeurs et son profond sentiment de vulnérabilité. Une fois qu'il se sentit compris, il fut à même de m'écouter tandis que j'exposai les raisons de ma visite au camp."





Starhawk, Rêver l'obscur, Femmes, magie et politique, Cambourakis (Dreaming the dark, Magic, sex and politics, paru en 1982) : sorcière active qui a bien pointé la culture de la domination et de la mise à distance contre l'immanence ; le "pouvoir-sur" vs. le "pouvoir-du-dedans", "People often ask me if I believe in the Goddess. I reply, "do you believe in Rock ?" (...) We do not believe in the Goddess, we connect with Her" (in The Spiral Dance). Une phrase du livre, pendant le blocus de la centrale nucléaire de Diablo Canyon, les femmes arrêtées sont détenues dans le vieux gymnase de California Men's Colony - une prison : "Mais nous dansons, car après tout c'est ce pour quoi nous nous battons : pour que continuent, pour que l'emportent cette vie, ces corps, ces seins, ces ventres, cette odeur de la chair, cette joie, cette liberté."





Thich Nhat Hanh, Semer les graines du bonheur dans le coeur des enfantsInitiation ludique à la pleine conscience, Le courrier du livre (Planting seeds. Practicing Mindfulness with children, paru en 2011) : exercices pratiques pour s'inspirer. Extrait : "Traîner avec un enfant, c'est tout simplement être avec un enfant. C'est laisser l'enfant nous révéler qui il est : comment il parle, comment il se déplace dans l'espace, à quoi il veut jouer ; c'est découvrir sa voix, son sourire, son visage avec toutes ses expressions, ses rêves, son être tout entier."





Thoreau, Henry David, Walden, Le mot et le reste (publié initialement en 1854) : "Le prix d'une chose, c'est la quantité de ce que j'appellerai vie qu'on doit donner en échange, sur-le-champ ou plus tard." ; "C'est seulement lorsque nous sommes perdus, autrement dit lorsque nous avons perdu le monde, que nous commençons à nous trouver, et à comprendre où nous sommes, ainsi que l'étendue infinie des liens qui nous y rattachent."





Tolle, Eckhart, Le pouvoir du moment présent (The power of now, paru en 1999) ; Nouvelle Terre (A New Earth, paru en 2005) ; L'art du calme intérieur (Stillness speaks, paru en 2003) : "L'ennui, la colère, la tristesse ou la peur ne sont pas "à vous" ; ils n'ont rien de personnel. Ce sont des états d'esprit. Ils vont et viennent. Rien de ce qui va et vient n'est vous. "Je m'ennuie." Qui sait cela ? "Je suis en colère, je suis triste, j'ai peur." Qui sait cela ? Vous êtes le fait de connaître et non l'état connu." ; "Le temps est la dimension horizontale de la vie, la couche de surface de la réalité. Mais il y a la dimension verticale de la profondeur, qui vous est accessible seulement par la porte du moment présent." ; "Dans cet état de présence, votre mental est libre de tout concept, y compris celui de la non-violence. Alors, qui peut prévoir ce que vous ferez ?"





Tsing, Anna, Le champignon de la fin du monde, Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Les Empêcheurs de Penser en Rond, La Découverte (The mushroom at the end of the world : On the possibility of life in capitalist ruins, paru en 2015) : sociologue - cueilleuse de champignons, en fin d'ouvrage : "C'étaient les communs latents faits de mauvaises herbes, les "lieux vacants" qui hantent les histoires de progrès et qui sont si souvent perçus comme dénués de valeur. Mais, pour nous, ils regorgeaient d'intérêt. Nous nous sommes gavés de baies que nous offraient les ronces et sommes partis en quête de petits champignons. Nous avons suivi la piste des chèvres et examiné les fleurs. Elle expliquait ce qu'était chaque chose et comment les gens les utilisaient. C'était ce type même de curiosité que Tanaka-san voulait développer chez les enfants de sa ville. Les vies multispécifiques en dépendaient. Sans plus d'histoires de progrès auxquelles se raccrocher, le monde est devenu un endroit terrifiant. Ce qui est ruiné nous reproche l'horreur de son abandon. On ne sait pas trop comment continuer à vivre et encore moins comment éviter la destruction planétaire. Heureusement, on trouve encore des alliés, humains et non humains. On peut encore explorer les bords broussailleux de nos pays désolés, qui sont autant les bords de la discipline capitaliste, de la scalabilité et de plantations abandonnées. On peut encore capter la senteur des communs latents et cet arôme d'automne insaisissable."





Vidalou, Jean-Baptiste, Être ForêtsHabiter des territoires en lutte, Zones, La Découverte, 2017 : philosophe - bâtisseur en pierres sèches : un monde dessiné depuis en haut vs. habiter un territoire, en fin d'ouvrage : "Entre connaître et être de connivence, il y a tout l'écart entre un savoir universel sur le monde, réparti d'avance, foncièrement homogène, et des liens qui s'agencent, à même la rencontre, à même les usages, révélant une plurailté toujours hétérogène. Le propre de la connivence est de ne pas s'extraire du monde. Au lieu d'objectiver le rapport, elle le replie sur lui-même et le rend intime, complice, immanent. Entre les lieux, entre les êtres, les usages, les bêtes, les plantes, le paysage. Marcher en forêt, y couper du bois de chauffage (...), de construction ou d'ébénisterie, trouver les arbres d'une future charpente, glaner des branches mortes, ramasser les champignons ou les châtaignes, chasser, cueillir des plantes, transformer en pleine ville une friche en un jardin-forêt, ou une jungle dans un jardin ouvrier, construire des cabanes, y tenir réunion, se battre avec elle, la faire surgir au coeur de la métropole, être forêts... Cela s'éprouve, cela s'éprouve sensiblement, sur un mode tel que la vie ne peut plus être séparée des êtres et des choses, et y acquiert ainsi une toute autre consistance. "Je" ne suis qu'à travers le "monde" qui m'affecte, et réciproquement."





Zürcher, Ernst, Les arbres entre visible et invisible, Actes Sud, 2016 : en début d'ouvrage : "L'arbre, géant de l'espace et du temps, enraciné dans le ciel et dans la terre, mémoire des siècles et source de vie, ami de toujours, attend... que l'homme s'arrête, qu'il le regarde et qu'il lui dise : "Continuons ensemble !".

dimanche 1 septembre 2019

Greener, grimer




La période est propice à diffuser ce percutant texte de Jean-Baptiste Vidalou, issu d'"Etre forêts" paru en 2017. 
Ce que représente l'extraction de matière qui bouffe notre habitat, la Terre.
Il n'existe pas d'énergie utilisée dans nos réseaux qui ne vienne pas de là.
La fin, "Nous sommes le vent, Somos Viento", annonce la suite.

"Que nous ayons, nous, ici en Occident, la sécurité et le confort d'une certaine gamme de choix - énergétiques ou affectifs - n'est possible que parce que tout est traité comme du gisement, mais du gisement qui ne se voit pas, ou plutôt qui ne doit pas se voir. (...)

La forêt, transformée en biomasse par la production d'électricité verte, à grand renfort de subventions européennes, n'est possible que par l'existence de stock de bois "ponctionnés" au Canada, au Brésil, et dans un rayon de 400 km autour de la centrale de Gardanne. Le phénomène est le même avec les myriades d'éoliennes industrielles, fer de lance de la transition énergétique, qui colonisent de plus en plus les territoires. Sait-on que chacune a besoin pour fonctionner de tonnes de cuivre et de pas moins de 600 kg de "terres rares", disprosium et autre néodyme des aimants du rotor, extraits et traités en Chine dans les pires conditions ? Baotou, cité chinoise où ces terres sont traitées, a été renommée par les habitants la "ville du cancer". En une contraction spatiale hallucinante, il y a là notre époque tout entière ramassée. Ici de l'énergie verte, des citoyens smart et à l'autre bout de la Terre des mines à ciel ouvert et des hommes qui crèvent à extraire des métaux pour les équipements et applis smart des mêmes citoyens smart.

Nucléaire + pétrole + charbon + éolien + solaire + biomasse, voilà l'addition qu'il faudra un jour payer. Il n'y a pas de transition énergétique, il n'y a qu'une même logique qui partout ordonne : extraire, extraire, extraire. La France n'a jamais autant brûlé de charbon pour produire de l'électricité qu'aujourd'hui où sa consommation monte en flèche. Comme le montrent les historiens de l'énergie, le charbon n'est pas une énergie plus "ancienne" que le pétrole ou les renouvelables, elle s'y ajoute. L'histoire de l'énergie n'est pas une histoire de transition mais d'intégrations successives. Pas de smart phone, pas d'écran led, pas d'Internet, pas de clouds, pas de réalité augmentée, pas d'imprimante 3D, pas de smart city, pas d'aéroport, pas de voiture connectée, pas de data center, bref pas d'éco-nomos sans cette circulation gigantesque d'énergies. Pas d'information "propre et transparente" sans cette extraction crasse. C'est de notoriété publique : pour "verdir le réseau, greening the grid", Google Green, via le marché des crédits carbone, investit dans la replantation, le solaire, la méthanisation ou les éoliennes. De quoi compenser la "décapitation" de montagnes entières dans les Appalaches en Virginie, dans le but d'extraire du charbon en quantité astronomique et de fournir ainsi en électricité les systèmes de refroidissement pour ses ogres énergivores que sont ses data centers en Caroline du Nord ? Quel lien entre une plantation d'eucalyptus clonés en Inde, une mine de charbon à ciel ouvert et un data center qui servira en retour à accueillir les données de la cartographie de la déforestation, sinon l'économie elle-même ?

Des chaînes de production aux plates-formes des réseaux sociaux, les ingénieurs de ce monde gèrent des fonds, ils extraient des ressources. Mais cela n'est pas sans rencontrer des mouvements de résistance qui entendent, eux, ne pas "se faire extraire". Partout, des gens se trouve physiquement en butte aux entreprises qui voudraient les voir rayés de la carte pour accéder à leur territoire et à leur sous-sol, à coups de gaz lacrymogène, d'intimidations, d'enlèvements, de meurtres. Pour ces gens, ces peuples s'organisent et luttent de manière déterminée contre une idéologie prédatrice, notamment dans les pays où les mines et l'exploitation forestière ne se sont jamais arrêtées de "tailler les veines" de l'Amérique latine. En Argentine, au Pérou, en Bolivie, au Brésil, au Mexique où les ressources s'amplifient malgré la répression sanglante. La cible de ces actions de résistance est l'industrie extractiviste, premier maillon des chaînes opérationnelles de tout notre économie. C'est le fait principal que la critique s'obstine à ne pas voir, parce qu'il ramènerait ses hautes envolées indignées sur le sol dur de l'organisation matérielle de notre époque. Les écologistes eux-mêmes se sont délestés de cette vérité trop lourde, préférant les sphères climatisées de la "bonne gestion". À un niveau très matériel, et à même la Terre, le voilà pourtant le chiffre de la domination de l'économie, le voilà pourtant le nouveau nomos : 70 milliards de tonnes. 70 milliards de tonnes de matières extraites par an ! Par le menu, cela donne : 4,5 milliards de tonnes de pétrole, 3479 milliards de m3 de gaz, 7,8 milliards de tonnes de charbon, 3,2 milliards de tonnes de minerai de fer, 220 millions de tonnes de roche phosphatée, 234 millions de tonnes de bauxite, 35 millions de tonnes de potasse, 29 millions de tonnes de chrome, 18,7 millions de tonnes de cuivre, 18 millions de tonnes de manganèse, 13,3 millions de zinc, 5,5 millions de tonnes de plomb, 2,4 millions de tonnes de nickel, 2 millions de tonnes d'amiante, 296 000 tonnes d'étain, au moins 110 000 tonnes d'oxyde de terres rares, 59 500 tonnes d'uranium... sans compter les morts-terrains, les stériles, les résidus, la déforestation, et les sols perdu par l'érosion. C'est l'addition, si l'on peut dire, qu'il nous faut payer chaque année pour fournir en "ressources naturelles" les chaînes de production de ce monde, tous secteurs confondus. 70 milliards de tonnes ! Cela pourrait déjà donner le tournis, mais, pire, ce montant a quelque chose de cataclysmique. Un saut a été franchi dans l'histoire de l'humanité. Un saut en quantité mais aussi en intensité, aucune partie de la planète n'étant désormais à l'abri des mines, des puits, de l'exploitation de gisements et de la déforestation pour simplement "accéder" à ces mines. Conjointement à la "sanctuarisation" de zones naturelles, la ruine de la Terre devient partout la règle. 

La France lorgne le sous-sol marin de ses colonies polynésiennes pour prospecter des gisements de terres rares, essentielles à la troisième révolution industrielle puisqu'elles rentrent dans la composition de toute l'informatique. Le Danemark, la Suède, l'Australie, les États-Unis, tout le monde veut sa part du gâteau et est prêt à tout pour exploiter son propre sous-sol ou ses fonds marins afin de seulement espérer "bousculer le monopole de la Chine" dans la production de terres rares. Il n'est plus seulement question d'aller piller les ressources dans les "dernières frontières", comme on le disait des mines des pays du Sud, mais encore dans les "pays développés" eux-mêmes. Ce fut le cas d'ailleurs dès l'aube de la révolution industrielle, où le développement de l'extraction des mines de charbon en Europe a été intrinsèquement lié à ces "hectares fantômes", c'est-à-dire aux terres exploitées des colonies qui permettaient un surplus de matières premières. Le rapport colonial est sans doute aujourd'hui plus homogénéisé. Ceux qui se sont penchées sérieusement sur la question extractiviste le disent sans ambiguïté : c'est à présent la Terre entière qui est devenue la colonie. Et les mines s'ouvrent partout. 

Ce stade "obsessionnel de l'extractivisme", comme le dit très bien Anna Bednik, donne à notre époque l'image psychotique d'un monde coupé du réel, un monde mobilisé à produire des machines qui extraient les matières premières pour la fabrication d'autres machines, fabricant à leur tour d'autres machines... mais sans que jamais l'origine de cette gigantesque machinerie n'apparaisse telle quelle : un désastre. En économie, on a le sens de l'oxymore. On appelle ça un "découplage". Entendez le découplage entre la croissance et l'extraction, le découplage entre l'économie et ses impacts. On ne pouvait mieux trahir une aussi totale désincarnation.

Malgré sa retenue toute "diplomatique", Bruno Latour a le mérite de pointer que la frénésie extractiviste actuelle repose sur une ligne de front entre ce qu'il appelle les Terrestres et les Humains. En gros, la division passe entre ceux qui sont liés un territoire, à la Terre, et ceux qui planent dans les sphères de la gouvernance, tout à la fois managers planétaires et nouveaux colons. Reprenant le texte de Schmitt sur le nomos, il note ceci : "Schmitt se trompe en disant que les humains n'ont pas trouvé de nouvelles terres. Celles qu'ils ont exploitées avec la même frénésie, la même violence que le Nouveau Monde ne se trouvent pas entre la Terre et la Lune et ce n'est pas en fusée qu'elles furent abordées, elles se trouvaient sous la surface de la Terre, et si les États ont pu y plonger la main pour atténuer leurs rivalités tout en les exacerbant, c'est par puits de mine, exploration, forage, extraction et fracking. On pourrait même dire que le charbon, le pétrole et le gaz sont bel et bien un "corps céleste nouveau", si l'on se souvient qu'il s'agit du soleil capté par les vivants dont les restes furent ensuite sédimentés dans les roches. Le voilà leur nouveau Nouveau Monde. Et c'est bien comme une res nullius et sans le plus petit scrupule que ce continent nouveau a été saisi : Drill, baby, drill ! Forez, les gars, forez !"

Ce nouveau nomos de la terre qu'est l'extractivisme ne s'applique pas seulement au gaz et au pétrole mais bien à tous les gisements disponibles. C'est la nouvelle religion de la transition énergétique ou de ce que Latour appelle justement l'"idéal des écomodernistes, de ceux qui prétendent être les bons intendants, les majordomes sérieux, les jardiniers avisés ou les intendants attentif de la Terre", bref l'utopie de ceux qui espèrent devenir les ingénieurs de la planète. Le grand récit de la transition en a fait son credo : partout doivent être mobilisés gisement éolien, gisement solaire, gisement de biomasse, gisement de méthanisation, gisement d'innovation dans l'isolation des bâtiments, etc. Car ces bons gestionnaires, qui vendent tous les jours leur récit du développement durable, qu'espèrent-ils finalement, de quoi rêvent-ils, sinon d'être aux commandes du système-Terre, d'en être enfin les pilotes ?

Gouverner au plus près les êtres, les choses, les corps et les esprits, gouverner à même la réalité physique du monde, son sol mais aussi son atmosphère, l'air que nous respirons - mais gouverner depuis un point de vue totalement étranger au monde. Sauf qu'on a de plus en plus de mal à croire en cette profession de foi de " bonne gouvernance", tant experts et contre-experts semblent si dé-terrestrés. Que la COP21 se soit tenue, en décembre 2015, avec ses 40 000 participants, à l'aéroport du Bourget, lieu annuel du Salon de l'aéronautique et de l'espace, en dit assez long sur la trajectoire orbitale de cette coterie.

C'est le piège sordide du discours écologiste que de s'indigner de la déforestation des forêts tropicales ou de l'extraction des gaz de schiste tout en prêchant partout la transition énergétique, de s'indigner de la perte des valeurs humanistes sans voir que c'est précisément au nom de l'Humain, ou plutôt d'une "certaine caste d'humains", qu'une guerre est menée au reste du vivant. Ces gens-là concluront par quelque décision pour "sauver l'environnement" alors qu'il s'agit toujours et avant tout de sauver l'économie. En vérité, il n'y a rien à sauver là-dedans. Car c'est bien cette idée d'un "environnement-global-à-gérer" qui est notre propre extraction hors du monde. La mise en surplomb de nous-mêmes, comme si nous nous regardions, depuis une navette à des milliers de kilomètres du sol, en train de fourmiller sur la croûte terrestre. Lorsque les gestionnaires parlent d'"écosystème”, de "biosphère", de "machine thermodynamique", de "système-Terre", quelle langue parlent-ils ? Toujours seulement celle qui nous saisit comme extérieurs au monde. L'environnement reste précisément aux environs, à l'extérieur, incapable de constituer un monde sensible. Là réside toute la différence éthique entre avoir un environnement et habiter un monde. La différence entre des normes et des usages. Entre un panneau en plexiglas "Parc national des Cévennes. Zone de protection" et des cueilleurs de plantes, de champignons, des chasseurs, des bergers, des glaneurs de bois. Entre une abatteuse-groupeuse et un bûcheron. La différence entre des plans d'aménagement et des sentiers parcourus de cabanes ou de barricades. Entre des cartes d'ingénieurs et des paysages vécus.

La chose est tout de même étrange : on n'aura jamais autant parlé de "transition", de "croissance verte", de "climat", qu'à l'heure où le monde se réduit à de purs calculs comptables. Combien d'hectares de forêts, combien de tonnes de palettes, de bois résiduels, de poussière de charbon, pour produire de l'énergie "propre" ? Combien d'espèces déplacées pour réaliser un aéroport à "haute qualité environnementale" ? Vues depuis nos existences mêmes, ces abstractions se montrent totalement impuissantes à saisir les usages qui nous lient aux êtres et aux choses, radicalement inaptes à révéler ce à quoi nous tenons. Peu importe par quel bout on prend ce conglomérat idéologique, c'est le même rapport détaché, extra-terrestre au monde. Qui a jamais habité dans l'environnement ? Une harde de sangliers se déplace sur des tracés qu'elle saisit comme étant son lieu de vie propre ; elle habite certainement un territoire plein de repères, d'affects, de sentes, elle n'habite pas dans l'environnement. Des occupants d'une ZAD qui construisent des cabanes vivent ensemble, s'organisent matériellement, se défendent d'un même élan, ils habitent un certain espace de la lutte, ils n'habitent pas dans l'environnement. S'il existe un peuple de la forêt, un peuple du vent, il n'est pas certain qu'il se reconnaissent dans cet environnement-là, pas plus que dans les strass de la gouvernance mondiale.

Les communautés de pêcheurs mexicains de l'isthme de Tehuantepec qui luttent contre l'extractivisme éolien, la lutte des Indiens du Guerrero pour sauver leurs forêts des tirs croisés de la déforestation et de la préservation des parcs, le peuple Nasa dans les montagnes du Cauca en Colombie qui tente de récupérer des milliers d'hectares de terres agricoles contre des grands propriétaires terriens - et c'est à coups de pierres et de cocktails Molotov qu'ils se défendent face à des tanks et des paramilitaires -, ces peuples-là, les nôtres, ne s'avancent pas à la table des négociations planétaires, ne veulent pas définir leur existence en termes environnementaux ou législatifs. Ils s'avancent et s'insurgent pour sortir de cette abstraction hors sol. La force de ces mouvements est précisément de partir de leur force tellurique, à même la Terre, avec d'abord la consistance de leur vie pour lutter. Et ne pas se fantasmer en représentants toujours-déjà défaits d'une fiction juridique, d'une nouvelle institution. Depuis là où nous vivons, faire croître les puissances qui sont déjà là, les faire s'entre-engendrer - voilà notre seule vérité commune : " Nous sommes l'air de l'isthme, nous sommes les cognements des barques qui ramènent du poisson à la maison, sur nos terres nous sommes libres comme le vent. Face aux promoteurs éoliens nous ne partirons pas d'ici. Nous sommes le vent."