vendredi 1 février 2019

Utiliser le mot Permaculture ?


Il y a des phases d'expansion, il y a des phases de retour. Comme dans la respiration, comme dans l'expansion de la forme physique et son retour... L'hiver est un moment propice au retour, à la concentration de l'énergie à l'intérieur. Je pourrais concrètement hiberner l'hiver. Avant de reparler des activités associatives en cours et projetées, une petite plongée maintenant dans ce qui peut émerger de l'espace du non agir.


Certains mots, expressions, concepts ont une histoire assez semblable, plus ou moins longue. Ils sont créés dans un contexte pour traduire une pensée spécifique, souvent nouvelle dans l'esprit humain à ce moment-là, et puis peu à peu le mot en lui-même devient si important, si fascinant, qu'il est utilisé comme s'il se suffisait à lui-même. On prononce le mot magique, et l'on pense que c'est une réalité à part entière. Certains mots en viennent même à asseoir d'autres fins, éloignées de la réalité que l'on prétendait indiquer à travers lui. C'est la bizarrerie de notre monde.

Les mots ne sont pas la réalité (et même la réalité est un mot !). Ils introduisent toujours une forme de dualité propre au mécanisme humain de la pensée.
En fait, les mots sont eux-mêmes des pensées, ce sont des outils pour nous. Les outils sont formidables pour les êtres humains et le monde, dont nous sommes partie intégrante. Ils ne sont pas un problème. Ce qui importe c'est l'usage que l'on en fait. Le monde que l'on créé dépend toujours de comment on utilise l'outil, qui ne se suffit pas lui-même, aussi formidable soit-il.

Avec le mot Permaculture, en France, ça a été assez fulgurant. Il a mis près de 40 ans à être importé, avec ce qu'il recouvre, et en quelques brèves années, il est aujourd'hui très souvent vidé de son sens : c'est-à-dire qu'il est fréquemment brandi, sans même vraiment savoir à quoi on fait allusion en l'utilisant.

Je n'emploie plus le mot permaculture, sauf pour des raisons pratiques, pour me faire comprendre ou désigner directement le concept. Ce n'est pas une nouvelle posture dogmatique qui viendrait remplacer la précédente, le mot n'est simplement pas important en lui-même. Utiliser une étiquette, si on n'a pas conscience que c'en est une au moment où on l'utilise, crée de la confusion dans l'esprit, et on finit par s'identifier à quelque chose qui n'est pas réel et qui vient alimenter un faux sens de soi. S'ensuivent des schémas habituels qui fonctionnent sur l'antagonisme, bien rodés chez notre espèce.

Ce concept élaboré par Bill Mollison et David Holmgren en Australie, à la fin des années 70, issu pourrait-on dire d'une forme de pensée humaniste qui intègrerait les relations horizontales entre êtres humains, et la relation êtres humains - nature, désigne une réflexion, une méthode pour concevoir, de façon très pratique et concrète, des systèmes humains respectueux de l'éthique suivante : "prendre soin de la Terre ; prendre soin des êtres humains ; produire des choses essentielles à nos besoins et en partager les surplus".
Ce, afin que les façons de faire humaines soient "permanent", c'est-à-dire qui autorisent l'idée, l'espoir, que nous puissions encore un jour habiter sur cette planète sans tout détruire avec nos procédés.
C'est parti d'une application de cette pensée-méthode au domaine particulièrement destructeur de l'agriculture telle qu'elle était pratiquée à l'époque et encore aujourd'hui, pour rapidement s'étendre à plein d'autres domaines qui recouvriraient en fait nos besoins (habitat, énergie, santé...), sous le vocable devenu "culture".
Cela veut montrer que c'est très possible de mettre en oeuvre des conceptions qui ne nous abîment pas (le nous étant inclus dans la nature), avec des solutions concrètement réalisables.
De là, c'est un peu "open source", avec toute technique, outil, bienvenu qui répondrait aux principes et à l'éthique proposés.

Souvent, quand une idée est "bonne", on s'engouffre dedans massivement comme d'un seul homme. L'Homme est toujours à la recherche d'un nouveau Dieu, créé par lui. 

Il ne s'agit pas de nier la réalité impulsée par ce mot, qui s'accompagne d'une pensée et de travaux très inspirants, et qui se traduit par plein de nouvelles activités en France et partout dans le monde, qui pour une large part ne sont pas du tout de l'esbroufe, mais bien des façons de faire, de vivre sur la planète qui se questionnent, s'expérimentent. Des connaissances et techniques utiles se transmettent, nouvelles ou oubliées - ceci n'est pas nié, et c'est enthousiasmant !

Mais, faire du mot permaculture un étendard, comme si c'était le bien incarné (en exagérant légèrement, pardon), c'est reposer éternellement le même état dysfonctionnel humain.

Ou alors quand on dit "faire de la permaculture", cela ne veut en soi rien dire. Cela peut sous-entendre faire le bien pour la planète ?, ou faire du jardinage en laissant pousser des herbes folles ?..., ou autre chose.
Ce qui a du sens c'est la réalité du moment qu'on appréhende consciemment. On est en train de discuter avec des gens pendant qu'on met les mains dans la terre et qu'on observe la microfaune, par exemple, ou, on est en train de dessiner à plusieurs une image d'un rêve que l'on essaie de traduire, ou...

Il n'y a aucun mot à défendre. Il n'y a pas plus de mot à attaquer. Les mots ont un usage pratique, on peut en trouver certains beaux aussi. Ils sont des obstacles quand nous y investissons quelque chose (une identification, une position mentale...) qui nous empêche d'expérimenter directement la réalité qu'ils seraient censés désigner. On se fait croire des choses, on se raconte des histoires. Demandons-nous toujours quelle réalité les mots que nous utilisons recouvrent, ne nous laissons pas endormir par notre propre berceuse. Les mots ne sont pas très précis, ce ne sont au mieux que des panneaux indicateurs, mais dès qu'ils prennent un côté sanctuarisé, c'est un signe qu'il y a là quelque chose de surinvesti. Et nous nous éloignons alors de l'intelligence lucide du moment, qui nous fait voir la réalité telle qu'elle est.

On a fait la même chose avec le mot "Dieu", avec l'expression "Droits de l'Homme", et des tas d'autres. J'ai côtoyé des gens qui consacrent de nombreuses années, voire "toute leur vie", au combat pour faire avancer les droits humains, et dès qu'ils se retrouvent dans des rapports réels d'humain à humain se comportent comme si ce qu'ils mettent derrière cette expression n'existe en fait pas, ou ne les concerne pas,  en massacrant ne serait-ce que symboliquement par une phrase, un regard, un jugement, par exemple, la personne qu'ils ont en face d'eux. Quand on fait cela ce n'est pas anodin (même si à ce moment-là on ne s'est pas servi d'un kalashnikov), car à ce moment-là on ne voit plus le vivant en l'autre, et c'est le principal dysfonctionnement humain. Par contre, on peut continuer à se raconter qu'on a gagné tel combat et se barder de l'étiquette du "bien". Avec les activités dans le domaine de la permaculture, ou de l'agroécologie, ou autre, c'est plus soft, on ne convoque pas forcément l'idée du "combat", mais on peut tomber dans le même piège de se penser "supérieur", "plus conscient", "plus malin", mieux quoi. Et cela n'empêche pas de vouloir sincèrement "faire bien pour la planète". C'est simplement une vue de l'esprit. On peut par exemple diffuser de l'information, partager des choses, sans se positionner mentalement de la façon décrite.

Parce qu'on aura beau s'agiter dans tous les sens et faire ce que l'on veut, élaborer n'importe quelle "stratégie", avoir l'analyse la plus intéressante possible, on est perdu si l'on ne regarde pas avec lucidité à l'intérieur de soi-même. Par quoi est-on animé dans le moment ? La racine est là. A-t-on suffisamment de discernement dans le moment pour examiner l'ensemble de la situation ? Nous ne sommes pas omniscients dans ce monde, nous sommes même très limités, malgré nos réelles prouesses techniques. L'illusion est de chercher à tirer notre discernement de l'extérieur. Ce n'est pas quelque chose qu'on va obtenir, par des concepts par exemple. Les choses du monde sont instables et impermanentes. Par contre, c'est en allant dans l'espace de sa conscience, que l'on a tous à l'intérieur de soi, qui est illimitée, que l'on peut, par exemple, distinguer un fait d'une opinion, voir les pensées (+ les émotions, + les sensations) comme telles, voir que l'on est en train de créer de la souffrance ou pas, voir l'illusion que peut procurer une "étiquette", utiliser une "bonne idée", un outil, sans l'investir d'un sens de soi...

Il n'y a pas de recette qui permettrait de se passer de l'intelligence appropriée à chaque situation. L'intelligence ce n'est pas celle qui se cantonnerait à l'intelligence de la tête et des raisonnements alambiqués, le mental est encore un outil. C'est voir, entendre, sentir, ressentir... au-delà des sens, qui sont le premier vecteur (du monde extérieur), et en-dehors des identifications, étiquettes, positions mentales (qui jaillissent à l'intérieur).

C'est cet état intérieur qui prime, et c'est de là que découle tout le faire qui n'est que secondaire. Souhaite-t-on la "permanence" du monde ? En réalité, l'idée de permanence traduit un réflexe sécuritaire, une résistance au changement. L'idée de durabilité aussi. Or, le monde, l'univers est un processus, sans cesse soumis au changement. Ce que l'on cherche c'est à y vivre harmonieusement en épousant la vague de la vie et en évitant d'ajouter de la souffrance inutile à l'héritage existant de souffrance.
Nous n'avons pas besoin de nous barder de concepts, mais juste à regarder en nous, et éventuellement après, faire quelque chose qui part de cet élan (et qui peut passer par l'utilisation pratique d'un concept).
Or nous sommes nombreux à faire plus attention à ce qui se passe à l'extérieur (ce qu'on fait, etc., les trucs, le monde), que voir notre état intérieur du moment.
De là découle le monde. Et il prend une certaine couleur.

Pour finir en cet instant, le mot permaculture n'est pas un problème, c'est juste un mot.


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